Science et Nature N° 97

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Lémuriens de Mayotte

Terre d'Asile pour les makis

 

Comme à Madagascar, sur l'île de Mayotte, la déforestation et la chasse sont responsables de la disparition de nombreux lémuriens. Une association, Terre d'Asile, s'est créée pour leur venir en aide. Depuis une dizaine d'années, les makis trouvent refuge et protection sur un îlot inhabité au large de l'île de Mayotte.

 

Par Séverine Demailly

Photos : Jérôme Ferreri

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Madagascar est la troisième plus grande île du monde. Distante de trois cents kilomètres et soixante-cinq millions d'années du continent africain, elle ne représente que 2% de sa superficie, mais possède au moins un quart de sa biodiversité tant animale que végétale, outre de nombreuses espèces endémiques. Parmi celles-ci, la plus célèbre est la grande famille des lémuriens, primates ancêtres des singes, qui foisonnent dans les forêts malgaches, et sur les petites îles environnantes des Comores, leurs derniers refuges.
On en recense aujourd'hui une trentaine d'espèces, réparties en cinq familles et quatorze genres. Les plus évoluées sont diurnes, essentiellement phytophages, et de grande taille. Selon leur espèce, les lémuriens mesurent de dix à soixante centimètres. Ils sont généralement pourvus d'une longue queue, d'une épaisse fourrure, d'un museau pointu qui les distingue des singes, et de grands yeux brillants, qui leur ont valu ce nom de lemures, fantômes en latin.
 

Un maki pour Mayotte

L'île de Mayotte, dans l'archipel des Comores, est aujourd'hui habitée par une seule espèce de lémuriens, Lemur Fulvus Mayottensis, ou maki de Mayotte, probablement issu du Lemur Fulvus Fulvus, dont il ne diffère apparemment que par une plus grande variétés de couleur du pelage. Ils seraint attivés grâce aux premiers pêcheurs et navigateurs du IXème et Xème siècle, faisant la navette avec Madagascar.
Mesurant environ quarante centimètres, ils possèdent une longue queue touffue. A l'exception du museau et du bout des pattes, ils sont entièrement recouverts de poils beige plus ou moins foncé, roux ou gris, rarement noir. Le ventre est plus clair, le visage séparé en deux par une raie noire, et une tâche sombre marque le haut de la queue. Il n'existe pas quant au pelage, de dimorphisme sexuel; toutefois, les mâles sont plus lumineux et contrastés de teintes grises ou noires. En outre, selon les saisons, l'âge et la santé du maki, le poil sera plus ou moins soyeux.
Les mains des lémuriens sont proches de celles de l'homme. Tout comme les pieds elles comportent cinq doigts très minces, dont l'un est opposable aux autres, élargis à leur extrémité et munis d'ongles, sauf le deuxième, qui possède une griffe leur permettant de gratter leur fourrure ou celle de leur congénères. Ils s'agrippent aux branches, saisissent de la nourriture, et semblent plutôt gauchers. Les mains servent aussi à communiquer avec les autres : faire des câlins, des papouilles, tenir les jeunes, ou se disputer... Il arrive aux lémuriens de s'associer pour une opération qu'ils ne peuvent effectuer seuls. Ainsi, a-t-on observé une femelle qui portait ses deux petits sur le dos; à un moment, son compagnon mâle les saisit, les déposa sur lui et massa délicatement le dos de la mère avant de lui rendre sa progéniture. Réelle habileté serviable de l'animal ou anthropocentrisme de l'observateur ?

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Bouzi, île refuge

A l'instar des lémurs malgaches, le makide Mayotte est classé animal en danger. La plus importante menace est la disparition de la forêt, par suite de l'extension des cultures, de l'élevage et de l'urbanisation, mais il est aussi victime des autochtones, qui le chassent pour le manger ou s'en débarrasser, car, selon eux, il est à l'origine de nombreux dégâts dans les cultures et les villages. Révoltée par ces mauvais traitements, Brigitte Gandon, photographe d'origine normande, aui a silloné le monde avant de découvrir Mayotte, où elle ouvre dans les années soixante-dix une boutique de photo, va remuer ciel et terre pour venir en aide aux makis. Elle en recueille un, puis deux, et... c'est l'engrenage.

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Un cri du coeur

En 1987, Brigitte Gandon fonde, avec quelques amoureux de la nature et des makis, une amicale déstinée à la sauvegarde de ce lémurien, mais se rend rapidement compte qu'il faut les réintroduire dans la forêt. Grâce qu soutien du docteur Vely de la Direction des services vétérinaires, du Préfet de Mayotte, de la DAF (Direction agricole des forêts), et du Muséum d'histoire naturelle de New-York, se crée une petite réserve sur l'îlot inhabité de Bouzi, situé entre Grande Terre et Petite Terre. Avec l'aide de la Légion Etrangère, les anciens bâtiments d'une léproserie sont aménagés en dispensaire, où l'on va recueillir les lémuriens victimes de braconnage ou de captivité, soigner les malades où les blessés, élever les orphelins avant des les réintroduire en bon état sur l'îlot...

Malheureusement Bouzi n'est pas seulement un paradis pour les makis, squatters et braconniers y trouvent aussi une terre déserte et accueillante, et des animaux faciles à approcher. Les lémures ne sont jamais à l'abri du danger, il faut en permanence quelqu'un de garde sur l'île, et, la forêt étant très appauvrie, ont doit aussi importer de la nourriture. Tout cela coûte très cher, environ 12 000 FF par mois, et ces bénévoles passionnés ne peuvent compter que sur leur bonne volonté, car malgré les promesses, ils n'obtiennent aucune aide financière.

Le droit de vivre

Pour donner davantage de crédibilité à leur action, ils fondent, en 1997, une association de type loi 1901, Terre d'Asile, qui compte aujourd'hui une centaine d'adhérants, mais une dizaine de membres actifs seulement, et se lancent dans de nombreuses actions annexes en vue de récolter des fonds et d'alerter l'opinion : organisation de fêtes, recherche d'adhésions et de sponsors, visites de l'île, reportages, sensibilisation dans les écoles pour enseigner aux jeunes habitants de Mayotte, que les lémuriens font partie de leur partimoine et qu'il s'agit d'un avantage touristique primordial. A Mayotte l'an 2000 a été baptisé "Année du maki". Un dossier de demande d'utilité publique et d'etablissement d'une réserve naturelle est en cours d'examen, mais l'association a besoin du soutien des élu, de responsables de collectivités locales ou de scientifiques pour être en mesure de développer fructueusement ses actions.

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Avec l'aide de scientifiques d'autres disciplines, les éthnologues effectuent un important travail d'étude du comportement. "Depuis que les membres de l'associations vivent avec les makis, ils font régulièrement des observations, et j'ai lu là-bas des cahiers entiers de descriptions, qui à première vue, paraissent un peu naïves, mais qui, pour des scientifiques, ont beaucoup de valeur", souligne Jean-Jacques Petter, fondateur du conservatoire vivant des Mascareignes, spécialiste des lémuriens, qui soutient activement l'association; Le professeur Ian Tattersall, du Muséum de New-York, et Michel Gresse du Muséum de Paris, lequel passe beaucoup de temps sur l'île, ont mise en place des protocoles d'observations permettant de révéler des similitudes avec les autres prosimiens, tels les lorisidés d'Afrique et d'Asie et les tarsiers du Sud-Est asiatique, les simiens (autrement dit les singes), et même l'homme.

Sur l'îlot, haque maki est un individu à part entière, avec un nom et une identité, ce qui facilite l'étude de son comportement.

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Une famille bien hiérarchisée

 

Les makis de Mayotte vivent en clans de deux à une trentaine d'individus, comprenant femelles, mâles et jeunes. A Bouzi, on compte une dizaine de familles, allant de quatre à onze lémurs; au total, cent vingt à cent trente animaux, avec autant de mâles que de femelles. Ces groupes ne sont pas stables, mais plutôt des associations fluides, changeantes. Les femelles semblent fidèles à leur groupe, mais les mâles beaucoup moins. L'îlot accueil aussi une petite femelle, Lemur Mongoz appelée Chloée. Il n'existe toutefois aucune possibilité de croisement entre ces deux espèces.

 

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Chloée

 

Ver 5 heures du matin, la journée commence par une recherche de nourriture : essentiellement des fruits, mais aussi feuilles et bourgeons, insectes, et parfois petits lézards et oeufs. Cette première sortie, assez courte, permet aussi aux animaux de prendre contact et de jouer. Pour communiquer, les makis utilisent de nombreux cris. On en recense une dizaine, allant du ronronnement au hurlement de détresse, en passant par les salutations, le raliement, l'appel, la reconnaissance, l'intimidation... Les cris de Chloée, très différents, beaucoup plus faibles, paraissent incompréhensibles pour le Fulvus mayottensis, ce qui explique son isolement.
De 9 heures à 13 heures, les makis se reposent. C'est aussi le moment des papouilles ou "grooming". Installés sur une branche, ils se gratouillent mutuellement. Tout en enlevant les parasites, ils communiquent, se manifestent leur "tendresse", et passent davantage de temps à nettoyer les autres qu'à leur propre toilette.
L'après-midi, les makis repartent en quête de nourriture, mais cette fois beaucoup plus loin, ne revenant vers le clan que tard dans la soirée ou la nuit. Allongés sur une branche, bras pendant de part et d'autre, ils s'endorment quelques heures avant de reprendre leurs activités.
Les makis manifestent une nette préférence pour les niveaux supérieurs des arbres, sans doute à cause de la présence de prédateurs, car sur Bouzi, où ils sont protégés, ils n'hésitent pas à se promener au sol.

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Une jeunesse facétieuse

La gestation dure entre cent vingt et cent trente jours, et les naissances ont lieu de septembre à novembre, au petit matin. La mère est alors très agressive, et ne se laisse pas approcher, même pas par le mâle. Le plus souvent, il n'y a qu'un jeune, parfois des jumeaux, assez rarement plus de deux ou trois jeunes par clans. La mère porte et allaite les jeunes environ trois mois, puis, petit à petit, ils prennent leur indépendance, jusqu'au sevrage, vers six mois. Dès qu'un jeune sait se déplacer seul, il devient très joueur, et un mâle, pas forcément le géniteur, commence alors son éducation. Très attentif, il le suit partout, l'attend, l'aide et le guide dans le choix des branches à utiliser lors des sauts, ainsi que des aliments. En cas de conflit, il arrive qu'un père gifle son petit. Les câlins se font le plus souvent avec la mère, mais la tendresse paternelle est tout aussi visible. Vers cinq mois, tous les jeunes se regroupent à l'écart du clan, dans une sorte de grande nursery, rejoints par ceux de l'année précédente, mais n'hésitent pas, s'ils ont peur, à revenir vers leurs parents.

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5_maki.jpg (23022 octets) Très farceurs, ils passent leur temps à jouer. Les jeunes mâles prennent leur indépendance vers deux ans et demi, trois ans, tandis que les femelles restent très attachées au père. Ces comportements provoquent des jalousies, et les femelles les plus dominantes n'acceptent pas qu'une autre femelle du clan ait un petit, l'obligeant à s'exiler pour la survie de sa progéniture. L'intolérance et le jalousie des makis sont certainement responsable de leur limitation démographique.

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La forêt de Bouzi étant en très mauvais état, les bénévoles sont obligés d'importer de la nourriture et de préparer des repas, surtout à base de fruits, pour leur protégés. 6_maki.jpg (17827 octets)

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8_maki.jpg (28660 octets) Projet Terre d'Asile

Jusqu'à présent, les makis de Mayotte ont été assez peu étudiés, mais au vu des premières observations, la vie de ces lémuriens présente un intérêt scientifique majeur. L'association Terre d'Asile souhaiterait organiser un comité scientifique composé de spécialistes internationaux, ayant pour objectif de fixer des règles d'observation et de gestion du site. A cet effet les professeurs Petter et Gresse ont contacté des spécialistes en faune terrestre, ornithologie, et ecotourisme, susceptibles de s'intéresser au sujet. A côté de ce comité, un autre sera mis en place pour la gestion quotidienne du site : apport de nourriture, plantations, soins... De plus, Terre d'Asile, souhaite donner à son projet un développement touristique. Ceci permettrait d'une part, de sensibiliser l'opinion au sort des lémuriens et de la vie sauvage en général, d'autre part de recueillir des fonds, mais aussi de lutter contre le braconnage.

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Le requiem du maki

En milieu naturel, un lémurien peut vivre jusqu'à dix ans. Mais il est fréquent de voir des lémurs tués sur le bord de la route ou victime de mauvais traitements. Ne supportant pas une captivité trop contraignante, un maki peut aller jusqu'à se fracasser le crâne, dans une tentative désespérée pour retrouver sa liberté. Toutefois, jamais personne n'a vu un maki mort dans son milieu naturel. Il semble que l'ensemble du clan ne soit pas indifférent à la mort d'un de ses membres. De rares témoins ont affirmé avoir observé des comportements troublants : rassemblement autour du corps, cris rappelant des pleurs de la part des femelles et des jeunes placés dans les arbres alentour, déplacement de la dépouille et retour sur les lieux plusieurs jours de suite. On entend même des récits d'ensevelissement du corps sous des brindilles ou des feuilles, mais aucune observation fiable et scientifique, ni photos ou films, n'ont pu confirmer ces dires. Si vous avez été émoins de telles scènes, vous pouvez en faire part à l'association pour aider les scientifiques, qui étudient ces comportements avec beaucoup d'attention.

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Création Michaël BOBIOR.
Copyright © 2000 Terre d'Asile. Tous droits réservés.
Révision : 27 juin 2000.